Zéro déchet ou presque

Zéro déchet ou presque, c’est possible. Suivez cette famille et leur solution!

« Repose cette Pom’Potes tout de suite ! ». Le ton ne souffre aucune contestation, il n’y aura pas de négociations. Les allées sans fin des supermarchés, c’est le cauchemar de Bénédicte. Cette compote industrielle, qui promet des saveurs gustatives et un apport énergétique inégalés, se drape de couleurs chatoyantes dans un savant alliage de plastique et d’aluminium. « Je fais ma propre compote, elle est meilleure, nous revient moins cher, et on la met dans des petites gourdes en silicone facilement lavables… Merde, je parle comme dans une pub ! »

Depuis un an, le quotidien de Bénédicte Moret, 32 ans, illustratrice, est fait de petites luttes, de grandes victoires ou de courtes défaites. Depuis un an, Bénédicte et sa famille, Jérémie Pichon son mari, leurs deux petites têtes blondes Mali, 7 ans, et Dia, 5 ans, mènent une vie zéro déchet. Ou presque zéro déchet. Une expérience qu’ils relatent avec recul et humour dans leur blog Famille zéro déchet qui regorge d’anecdotes et surtout de conseils pratiques. Un véritable guide à l’adresse des personnes qui souhaiteraient se lancer dans le zéro déchet, et dont ils tireront un ouvrage qui sera publié en mars. Comment fabriquer son propre liquide vaisselle, son « décrasse-chiottes », son dentifrice, les produits cosmétiques ? Des recettes de cuisine, composées de produits frais pour éviter les emballages des plats préparés, seront également au programme.

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Consommer de manière responsable, allonger la durée de vie d’un objet, fabriquer ses propres produits : des actes qui font désormais partie de leur quotidien. Loin de tout dogme politique ou de l’approche plus radicale de Béa Johnson, cette Franco-Américaine installée au nord de San Francisco (Californie), présentée comme la prêtresse du zéro déchet, Bénédicte et Jérémie ont en effet opté pour une démarche plus pragmatique.

« Le discours moralisateur, culpabilisant, ou parfois extrême de certains écolos est contre-productif », avance Jérémie, confortablement installé dans le jardin de sa maison à Soorts-Hossegor, dans les Landes, d’où il couve d’un regard bienveillant les asticots qui grouillent dans son compost. A 39 ans, ce chargé de gestion de projets associatifs dans l’environnement a le teint façonné par le soleil et le sel marin et donne du « in fine » pour ponctuer nombre de ses phrases. Il explique ne pas être« dans une posture radicale et prosélyte. Je préfère la pédagogie par l’exemple. Et si on se foire, tant pis ».

Le « Je n’ai pas réussi… » n’est pas vécu comme un échec, mais plutôt comme un défi à surmonter. Bénédicte se rappelle de la fabrication de son premier liquide vaisselle qui « ressemblait à de la gerbe », avant qu’elle ne réussisse finalement à améliorer sa recette. « On a tenté de faire notre propre pain mais il avait la texture du granit. Mais mon plus gros échec reste le ketchup maison, je n’ai toujours pas réussi à leurrer les enfants, même si je ne désespère pas. »

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Leur conviction s’est forgée au gré de leurs rencontres et de leurs lectures. Déjà sensibilisés à la cause écologique – « on faisait le tri, le compost, on achetait nos fruits et légumes via une AMAP, bref on pensait tout faire bien » – Jérémie et Bénédicte constatent que le volume de leurs déchets ne diminue pas suffisamment. Décision est donc prise de s’attaquer à l’un des nœuds du problème : l’emballage, ou plutôt le suremballage, qui représente un tiers de nos déchets ménagers.« Sacs, blister, opercule, capsule, barquette, sachet, pot » énumèrent-ils… Du plastique. Beaucoup de plastique. Partout. Le marché mondial de l’emballage a été chiffré à 766 milliards d’euros en 2013 par l’agence Smithers Pira. Pour la France, cela représentait 19,7 milliards d’euros pour 110 000 emplois en 2012.

Selon le ministère du développement durable, les Français consomment chaque année 17 milliards de sacs plastiques (préférez « poches » dans les Landes, sous peine d’excommunication), dont près de 10 % finissent dans la nature. L’interdiction des sacs plastiques à usage unique, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016, ne trouve pas entièrement grâce à leurs yeux, car les solutions alternatives proposeront notamment de les remplacer par des sacs composés de matières végétales… mais seulement à 35 %, dans un premier temps.

Pour lutter contre leur prolifération, la famille s’est armée d’un régiment de Tupperware – leurs précieux « tuptup » –, et d’un bataillon de bocaux en verre. Elle privilégie les circuits courts (maraîchers, magasins bio) et la vente en vrac. Ainsi, la famille achète la juste dose et contribue donc à la réduction du gaspillage alimentaire. Elle fait aussi des économies, car à produit équivalent à ceux de la grande distribution, le vrac peut être 10 à 40 % moins cher. « Au-delà de l’impact écologique, les consommateurs paient pour du plastique dont ils pourraient très bien se passer », se lamente Jérémie.

La grande distribution n’a pas disparu de leur existence

Derrière le comptoir de sa boutique « à l’ancienne » où se côtoient produits d’épicerie, pain et bonbons, leur boucher, Louis Goalard, abonde. « Ce qui m’a surpris, c’est que cette demande vienne de personnes aussi jeunes. » La démarche de cette famille n’est en effet aucunement novatrice, ils reproduisent « simplement ce que faisaient nos grands-parents : aller faire des courses avec un cabas. C’est l’arrivée de la grande distribution qui a tout changé. »

La grande distribution, honnie, n’a toutefois pas complètement disparu de leur existence. Quatre hypermarchés se trouvent dans un rayon de 20 minutes en voiture autour de Soorts-Hossegor. Et une cinquième devrait ouvrir prochainement. « Ils avancent l’argument de l’emploi pour faire passer la pilule. Mais on peut tout aussi bien créer ces emplois en développant, par exemple, des zones de maraîchage. Avec un système de livraison, on peut facilement atteindre les 200 emplois. Et des emplois pérennes, socialement et humainement responsables. Aujourd’hui, vous connaissez beaucoup de caissiers qui vont faire toute leur carrière et évoluer au sein d’un Leclerc ou d’un Carrefour ? »

Certains produits comme le fromage, « beaucoup trop cher chez le fromager », le lait, le papier toilette, « et la crème de marron, n’oublie pas la crème de marron », ne sont trouvables, pour eux, qu’en grande surface. Un passage obligé et redouté. Bénédicte se remémore cette fois où elle s’est fait rabrouer par la vendeuse du rayon fromage d’une enseigne de grande distribution qui refusait catégoriquement de lui servir directement le produit dans son bocal en verre. « Question d’hygiène », avance-t-elle. Bénédicte encaisse, ébranlée par l’argument scientifiquement discutable de son interlocutrice. « Le simple fait de lui demander de mettre le fromage dans mon bocal en verre a ébranlé son monde. C’était un acte de désobéissance civile », plaisante-t-elle.

Prendre le temps d’expliquer sa démarche aux commerçants est donc essentiel. Si la demande ne passe pas, « on va voir ailleurs ». Stéphane, vendeur au rayon fromagerie dans un hypermarché à Capbreton, ne voit ainsi aucun problème à mettre le fromage directement dans le bocal. « C’est plus rapide pour nous, on n’a pas besoin d’emballer le produit. Et puis ça fait des économies de ne pas utiliser le plastique ». Bénédicte est sa seule cliente à procéder de la sorte, mais il espère que d’autres « suivront son exemple ».

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Si Bénédicte et Jérémie ont expliqué leur démarche à leurs enfants, ils ne souhaitaient pas « que cela devienne une contrainte pour eux ». Mali et Dia sont pourtant les principaux pourvoyeurs de plastique de la tribu. « C’est dingue le nombre de chinoiseries qu’ils ramènent de l’école ! » Par « chinoiseries », comprendre les jouets en plastique de piètre qualité, à la durée de vie limitée. Dans un coin obscur de la cour d’école, un sac de billes contre une figurine Power Rangers, une poignée de mains, deal, chacun repart avec son butin. « On leur parle, on leur explique. Ils comprennent. Sauf à l’approche de Noël, il faut tout reprendre de zéro », plaisante Bénédicte, dont le travail de pédagogie se fait également en direction des grands-parents.

Leur entourage, famille, amis et collègues, jugent leur démarche tantôt avec circonspection, tantôt avec bienveillance. Rares sont les convertis, et tous imaginent une expérience chronophage et contraignante. Un argument balayé par Jérémie et Bénédicte : « On se fait livrer notre panier de fruits et légumes à domicile, on ne passe plus que 15-20 minutes en moyenne dans un supermarché, bref nos courses nous prennent moins de temps qu’auparavant ». Le zéro déchet implique surtout de« revoir son rapport au temps ». Et ses priorités.

Pour atteindre le zéro déchet, « il faudrait vivre hors du système »

Le centre de gravité de la maisonnée s’est ainsi déplacé du salon à la cuisine : « Oui, nous prenons plus de temps à cuisiner mais c’est un moment agréable que nous passons en famille à échanger, rigoler. Le temps existe, il faut juste choisir ce que nous en faisons. Surtout quand on sait que les Français passent en moyenne trois heures par jour devant un écran… », précise Jérémie, avec une pointe de nostalgie dans la voix lorsqu’il se remémore les longues heures passées avec sa mère, dans la maison familiale du Lot, à équeuter les haricots verts.

Eux passent désormais de deux à trois heures dans la cuisine durant le week-end pour préparer les menus de la semaine. Et une trentaine de minutes par jour en semaine. N’ont-ils jamais cédé à la tentation, après une longue journée de labeur, d’acheter un plat tout préparé ? « Un plat de lasagnes à la viande de cheval ? Non merci. Quand on a la flemme de cuisiner, ce qui peut arriver, on réchauffe les restes. Les restes sont essentiels dans le zéro déchet. On évite le gaspillage alimentaire ». Ils assurent surtout avoir retrouvé le goût des aliments. Même leur fille Mali confesse son penchant pour le gratin de choux-fleurs et la tarte aux poireaux et au roquefort. Elle picore des grains de raisins comme d’autres enfants de son âge engloutissent des bonbons. Jérémie, dopé aux sports de glisse, constate d’ores et déjà les bienfaits d’une alimentation saine sur son corps, les petits coups de pompe quotidiens s’espaçant de plus en plus. « On nous dit que le cancer est une maladie civilisationnelle. Mais c’est surtout notre mode d’alimentation et de consommation depuis 40 ans qui sont à l’origine de ces cancers ou de toutes ces maladies cardio-vasculaires. »

Le bilan qu’ils tirent de leur année zéro déchet est en tous points positif : alors que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie chiffre à 390 kg le volume d’ordures ménagères par an et par habitants, leur poubelle annuelle ne fait plus que 25 kg, soit un sac de 20 litres par mois. Ils s’alimentent plus sainement et ont sensiblement réduit leur budget mensuel pour les courses, qui atteint désormais 500 euros, contre 700 à 800 euros auparavant. Mais pour atteindre le zéro déchet, « il faudrait vivre hors du système », nuance Jérémie. « Et ce que nous combattons, à notre petite échelle, n’est que la partie immergée de l’iceberg », regrette-t-il, sur la plage des Océanides, à Capbreton, où un ramassage des ordures est, chaque année, indispensable après les grandes houles d’hiver. « Toutes les saloperies que nous produisons finissent dans l’océan », ces fameux continents de déchets, dont 75 % sont formés de plastique. En quelques minutes, Jérémie collecte briquet, tampon hygiénique et bouteilles de sodas pour corroborer ses propos. Son fils Dia, chasseur de trésor déjà aguerri, revient, triomphant, avec un objet en plastique non identifié. « Tu vas pas ramener ça à la maison quand même ? » Les affres d’une vie zéro déchet. Ou presque.

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En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/cop21/visuel/2015/12/03/24-heures-dans-la-vie-d-une-famille-presque-zero-dechets_4823441_4527432.html#6ikYfljRqTEZZvOY.99

Par Maxime Goldbaum  Photos Karim El Hadj

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